L’informatique quantique en 2024 : Etat des lieux

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Valentin Macheret
Temps de lecture 6 min

L'informatique quantique est l'un des buzzwords de la tech du moment. Mais de quoi s'agit-il exactement ? Pourquoi s'en préoccuper ? Et quelle est sa place dans le cloud ? N'ayez crainte, Valentin Macheret, ingénieur R&D à Scaleway Labs, va vous expliquer tout cela !

Pourquoi l’informatique quantique existe ?

L'informatique quantique est née de l'intersection de deux domaines : une meilleure connaissance du traitement de l'information au niveau quantique et le besoin croissant de puissance de calcul pour résoudre des problèmes numériques complexes tels que la simulation des matériaux et l'optimisation.

L’informatique quantique est déjà vaste et va continuer à se développer dans les années à venir. Ici nous nous préoccuperons uniquement de l’aspect computationnel.

L’une des propriétés clés de la mécanique quantique, la superposition, autorise à un système quantique, comme un photon ou un atome, d'être dans 2 états à la fois. Ce système porteur de l’information quantique est nommé quantum bit, ou qubit, et est la base de tous les calculs.

Cette particularité dans le qubit permet aux ordinateurs quantiques d’avoir un parallélisme décuplé (faire plusieurs choses en même temps), permettant d’explorer davantage de solutions en simultanés comparé à des ordinateurs binaires, à base de bit.

Imaginez devoir sortir d’un labyrinthe. Sur un programme classique, vous devrez séquentiellement choisir entre la droite ou la gauche à chaque intersection et retenir le chemin parcouru jusqu’à trouver la sortie. Dans la version quantique de ce programme, il est possible d’explorer la droite et la gauche en même temps. Le temps pour trouver la solution est exponentiellement réduit. C’est ça l'objectif de l’informatique quantique ! Trouver une solution à des problèmes qu’il serait trop coûteux de calculer de façon classique.

Quantum maze

Est-ce que de tels ordinateurs existent vraiment ? Et permettent t’ils de casser l’algorithme qui assure la sécurisation de nos communications actuelles, le chiffrement RSA-2048 ?

Etat et limites en 2024

Oui, les ordinateurs quantiques existent bel et bien. Mais casser le chiffrement RSA-2048 n’est pas pour tout de suite. Explications.

Tous les acteurs construisant des ordinateurs (Quandela, IBM, IonQ, Pasqal, DWave…) se focalisent sur une technologie qui leur est propre. En effet, le “hardware quantique” peut se baser sur bien des supports : photons, matériaux supraconducteurs, ions piégés, atomes neutres, recuit… Avec chacune de ces approches viennent ses avantages et ses challenges.

Gardons en tête que rien n’est simple dans ce domaine, et que de nombreuses approches restent à explorer. Aujourd’hui, il serait prétentieux de dire quelle technologie tirera le mieux son épingle du jeu.

Evaluer un ordinateur quantique

Afin de qualifier la maturité d’un ordinateur quantique, nous serions tentés de regarder uniquement le nombre de qubits mis à disposition. Mais ce n’est en réalité qu’une partie du sujet. David Di Vincenzo, un ingénieur chez IBM, a proposé en 2000 un ensemble de 5 critères qui permettent, a priori, d'évaluer la maturité d’un ordinateur quantique.

Voici la liste des critères de Di Vincenzo, et la réalité du terrain en 2024 :

Critères Di Vincenzo

On constate que les grands challenges actuels concernent la fidélité (ie: qualité) intrinsèque des qubits et des opérations qui leur sont appliquées.

Pour quantifier la puissance d’un ordinateur quantique, plusieurs métriques ont commencé à voir le jour. On peut citer le Volume quantique (IBM, 2020), qui prend en compte le nombre de qubits et leur fidélité, ou encore le nombre d’opérations par seconde (IBM, 2021). La réalité, néanmoins, est que peu d'acteurs prennent du temps en 2024 de mesurer et publier ces métriques car la priorité reste de faire évoluer le matériel.

Des erreurs, partout

L’un des plus grands challenges de tous les constructeurs d’ordinateur quantique est de réduire le taux d’erreur des qubits durant les calculs. Les erreurs peuvent être provoquées par une décohérence non souhaitée où l'état d’un qubit peut être altéré en interagissant avec l'environnement (Température, vibration, ondes acoustiques, champs électriques…), ou bien par simple perte du support quantique (un photon “perdu” dans une fibre par exemple).

Errors everywhere

Ce qui permet de mettre en exergue un des paradoxes de l’informatique quantique : à la fois isoler au mieux les qubits de son environnement… tout en cherchant à le contrôler pour faire des opérations dessus.

Deux solutions (non exclusives) se démarquent : 1) améliorer le matériel pour mieux isoler l’information quantique des perturbations et 2) les codes de correction d’erreurs quantique (QEC). Alice & Bob, un acteur français du quantique, a une approche mixte : créer des qubits supraconducteurs avec une résistance accrue au bit-flip, un type d’erreur commun.

L'idée basique de la QEC est la suivante : utiliser davantage de qubits pour la redondance d’information, et appliquer des opérations de correction en cas d’erreurs.

C’est pourquoi il importe de questionner quand un nouvel ordinateur quantique est annoncé : quelle est la fidélité de ses qubits ? Combien vais-je devoir en utiliser pour la correction d’erreur ?

La QEC est aujourd’hui écrite manuellement dans les algorithmes des entreprises qui souhaitent porter leurs algorithmes au quantique. C’est une tâche fastidieuse et qui requiert des ingénieurs dédiés. La QEC peut être tellement encombrante qu’elle réduit considérablement le nombre de qubits “utiles” (porteur d’information), rendant encore impossible l'exécution de certains algorithmes.

Des paradigmes qui intègrent directement une QEC émergents comme les ceux à base de mesure (MBQC) ou encore à base de fusion (FBQC) intégrés aux calculs. Mais ces approches sont encore très théoriques et, à date, aucun ordinateur quantique n’a pu les implémenter avec succès.

C’est pour quand, alors ?

Pour reprendre l’exemple du RSA-2048, il faudrait, selon cet article paru en 2021, pas moins de 20 millions de qubits physiques (porteur d’info + correction) pour factoriser un nombre premier suffisant afin de casser le protocole. En 2024 on compte au mieux quelques centaines de qubits sur certains ordinateurs.

Un article de 2022 fait une estimation à 372 qubits quasi-parfaits (99.9% de fidélité) via une approche hybride bien plus lente… Les estimations pour cet algorithme sont monnaie courante et il faut se montrer prudent, faute de consensus.

La route va prendre encore quelques années, au moins 5-7, avant d’atteindre l’informatique quantique tolérante aux erreurs (FTQC). Cette période transitoire avant de pouvoir profiter de qubits logiques (ie: robustes aux erreurs) porte le doux nom de Noisy Intermediate Scale Quantum (NISQ) era.

La place de l’émulation dans l'écosystème quantique

L’idée clé de l’émulation quantique est simple : utiliser la puissance binaire pour mimer le comportement des intéractions faites dans un vrai ordinateur quantique (superposition, intrication, décohérence…). Il existe des émulateurs qui simulent spécifiquement un type de hardware (tels que exQalibur par Quandela pour le photonique ou Pulser de Pasqal pour les atomes neutres).

La quasi-totalité des émulateurs proposent un mode de fonctionnement sans erreur (ie: le mode logique) ainsi qu’un mode avec simulation des erreurs quantiques précédemment évoquées (ie: le mode physique).

L'émulation quantique se positionne donc comme une alternative afin d’explorer le vaste sujet de l’informatique quantique pour y prototyper des algorithmes sans avoir à se soucier des contraintes matérielles, de la disponibilité d’un ordinateur quantique ou encore des erreurs de calculs (Voir figure 1).

Emulation into the quantum ecosystem

L'émulation a cependant une grande contrainte : la consommation de mémoire qui double pour chaque qubit. En effet, stocker le vecteur d'état d’un système quantique à N qubits revient à stocker 2^N x 8 octets en mémoire. Soit 8MB pour 20 qubits, 8GB pour 30 qubits… En 2024 des offres cloud d’émulateurs proposent jusqu’à une 40aine de qubits (physique ou logique), et cela demande un supercalculateur de GPUs.

Un premier pas dans la programmation quantique

Le développement d'algorithmes quantiques en 2024 est encore chose ardue. Cela revient à encore manipuler directement des portes logiques, qui n’ont rien à voir avec l’algèbre de Boole. D’autant plus que certaines portes peuvent être très spécifiques à un type de hardware.

Des SDK comme Cirq, myQLM, CUDA-Q, Qiskit ou Perceval existent pour concevoir, construire et exécuter des algorithmes quantiques sur des ordinateurs quantiques réels ou simulés.

Voici un exemple trivial avec Qiskit d’un circuit quantique produisant un état GHZ (3+ qubits superposés et intriqués). Un état GHZ est un pattern très couramment employé, que ce soit en QEC, en télécommunication quantique (QKD) ou dans des algorithmes comme celui de Grover.

from qiskit import QuantumCircuit
from qiskit_aer import AerSimulator

# The simulation object to emulate a quantum processor
backend = AerSimulator()

# Define a quantum circuit that produces a 3-qubit GHZ state.
qc = QuantumCircuit(3)
qc.h(0) # Put the 1st qubit in superposed state
qc.cx(0, 1) # Entangle the 1st qubit with the 2nd
qc.cx(0, 2) # Entangle the 1st qubit with the 3rd… so the 2nd with the 3rd
qc.measure_all() # Measure all the axis of the qubit

# Execute the circuit on the simulator and retrieve the result
result = backend.run(qc, shots=1000).result() # Means that the circuit will be run 1000 times

print(result.get_counts())

Dans cet exemple, seulement 3 portes quantiques (1 porte Hadamard, 2 portes Control-X) sont appliquées. A comparer avec un processeur binaire, cela reviendrait à avoir appliquer autant de portes logiques (AND, OR, XOR…), donc pas de quoi faire de grandes avancées algorithmiques. Bien que cela soit en constant changement, développer des algorithmes complets nécessitent de positionner des milliers / millions de ces portes. En 2024, l’exploration quantique se contente de mettre quelques dizaines, parfois centaines de portes quantiques. Cela est principalement dû aux limitations matérielles (que ce soit le taux d’erreur ou la consommation mémoire) ainsi que le manque d’outils haut niveau pour écrire de tels algorithmes.

Certains SDKs vont un peu plus loin est proposent déjà des bibliothèques d’applications quantiques très spécifiques. Les plus connues de ces applications sont des variations d’Eigensolver ou des optimisations de graphe (voici un exemple de QUBO avec Perceval).

Le quantique chez Scaleway

Avant que l'informatique quantique ne s'intègre harmonieusement dans notre paysage technologique, 2 étapes restent à franchir :
Augmenter la fiabilité des ordinateurs quantiques, moins d’erreurs de calculs
Augmenter leur accessibilité, moins de downtime et réduire les coûts

Scaleway, à travers son offre de Quantum as a Service (QaaS) souhaite justement adresser ces problèmes en proposant une suite d'émulateurs quantiques propulsé par une variété de hardware, du CPU jusqu’au cluster de GPUs.

Voici une liste d’émulateurs proposer par l’offre QaaS de Scaleway:

Qsim: Développé par QuantumLib, il excelle dans la représentation des vecteurs d'état pour une performance maximale.

Aer: Proposé par Qiskit, il est idéal pour des représentations plus complexes telles que les matrices de densité et les réseaux de tenseurs. Il bénéficie également du support multi-GPUs.

exQalibur: Développé par Quandela, cet émulateur propriétaire et optimisé multi-GPUs est dédié à l’optique linéaire quantique. Il simule des photons uniques répartis dans des modes (des petites fibres optiques) ainsi que les opérations via des beamsplitters et des phase shifters.

L’accès à ces processeurs quantiques (QPU) émulés peut se faire par Perceval, développé par Quandela ainsi que Qiskit, maintenu par IBM. Reprenons notre exemple avec Qiskit pour utiliser le service QaaS de Scaleway :

from qiskit import QuantumCircuit
from qiskit_scaleway import ScalewayProvider

provider = ScalewayProvider(
project_id="<your-scaleway-project-id>",
secret_key="<your-scaleway-secret-key>",
)

# Retrieve a backend object with Aer emulation on a H100 GPU to run algorithms
# Need to run over a Qsim emulator? Just change to “qsim_simulation_h100”
backend = provider.get_backend("aer_simulation_h100")

# Define a quantum circuit that produces a 3-qubit GHZ state.
qc = QuantumCircuit(3)
...
qc.measure_all()

# Create and send a job to the target session
result = backend.run(qc, shots=1000).result()
...

Une session d’un QPU émulé par Aer va immédiatement être créé pour le besoin et sera maintenue encore quelques minutes pour les prochaines exécutions.

Pour quantifier au mieux la puissance de ces offres, des benchmarks ont été réalisés pour comparer le Volume Quantique (calculer le plus gros circuit carré possible) des différentes plateformes du service. Voici le résultat du benchmark pour Aer sur CPU et GPU.

Quantum benchmark

On constate que les plateformes mises à disposition permettent de dépasser facilement la barre des 30 qubits logiques pour atteindre jusqu'à 36 qubits* (37 si on passe en simple précision). De quoi casser le RSA-128 selon cet algorithme !

En conclusion, cette initiative d’offre Quantum as a Service (QaaS) permet :
D’explorer la programmation quantique à moindre coût : Scaleway offre un service abordable pour les chercheurs et développeurs souhaitant s'initier à la programmation quantique sans se soucier des erreurs matérielles et sans investir dans des infrastructures coûteuses.

D’éviter d’attendre l'accès aux ordinateurs quantiques du marché : Avec des délais d'attente pouvant aller jusqu'à plusieurs semaines pour accéder aux ordinateurs quantiques, l'émulation quantique fait gagner un temps précieux, particulièrement durant les phases de test et de développement.

De débloquer les limitations d’un ordinateur local : Les plateformes d’émulation quantiques proposés par Scaleway permettent d'exécuter des algorithmes quantiques de plus grande envergure que ceux possibles sur des ordinateurs classiques.

Avec l'émergence de l’informatique quantique, qui transforme radicalement la manière de formuler et de résoudre des problèmes complexes, l’apprentissage, la démocratisation et la simplification de l'accès à l'algorithmie quantique sont des enjeux cruciaux. Scaleway s'engage à faciliter cette transition, en rendant l'innovation quantique accessible à un public plus large et en soutenant les avancées technologiques qui définiront le futur du calcul.

Utilisez une telle offre pour explorer, apprendre et innover dans le domaine si fascinant de l’informatique quantique.

*Ce nombre peut être amené à changer en fonction des plateformes du service QaaS



Pour aller plus loin:

Quantum Computing for Very Curious (2019)

Understanding Quantum Computing par Olivier Ezratty (2023)

Les débuts de l'informatique quantique par Pascale Senellart (2021)

Page officiel de QaaS et sa page console

Page de Qiskit et package Qiskit Scaleway

Page de Perceval et comment utiliser Scaleway dans Perceval

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